Publié le 28 décembre, 2015 | par @avscci
0Actu Livres déc 2015 – Cinéma et poésie
Les nouvelles éditions Jean-Michel Place inaugurent une collection dirigée par Carole Aurouet : « Les poètes et le cinéma ». Sont annoncés déjà pour 2016 des volumes sur Desnos, Duras, Fondane, Queneau, Breton, Epstein et Michaux. Viennent de sortir Aragon et le cinéma de Luc Vigier et Brunius et le cinéma d’Alain Keit. Une centaine de pages à chaque fois, pour des analyses qui donnent envie de revoir ou découvrir de nombreuses œuvres à la lumière de ce filtre poétique. Le livre sur Aragon vient d’un constat paradoxal : il n’a jamais écrit pour le cinéma et son œuvre n’a pas été vraiment adaptée, excepté quelques films pour la télévision. Mais toute son écriture est habitée par la sensibilité au cinéma, depuis ses premiers poèmes publiés en revue en 1917 consacrés à Charlot jusqu’à son intimité avec ce langage du XXè siècle, perceptible dans toute son œuvre poétique, romanesque, et même journalistique. En 1918, il écrit à Delluc : « Et dire que nous sommes si peu à nous réjouir d’avoir un art de notre temps. » Même quand il n’est pas si explicite, le pli cinématographique de sa vision du réel est subtilement démontré par Luc Vigier. Et la célébration par Aragon du cinéma de Godard commence en 1964, alors que le grand Suisse cite le poète depuis longtemps dans ses articles et ses films (dès À bout de souffle). La belle analyse, détaillée, argumentée, de Luc Vigier donne envie de relire toute l’œuvre comme pour y trouver un « Aragon cinéaste » au sens où Anne-Marie Baron put parler d’un « Balzac cinéaste » dans son livre de 1990. De nombreuses citations éclairent le propos et rappellent l’absolue modernité de cet homme. Dès 1919 il écrit : « Ô mes amis, l’opium, les vices honteux, l’orgue à liqueurs sont passés de mode : nous avons inventé le cinéma. »
Le texte sur Brunius était plus risqué, car l’homme est insaisissable, malgré le livre écrit par Jean-Pierre Pagliano et la thèse de Lucien Logette. Alain Keit a fait le choix de parcourir la fragile filmographie de Brunius cinéaste, sept courts films entre 1933 et 1953. Il en rend compte et donne envie de regarder de près ce parcours français, puis anglais après 1940, de celui qui ne fut pas seulement le Rodolphe d’Une partie de campagne. Coïncidence, les Cahiers Max Jacob publient dans leur dernière livraison* un article passionnant de Nadejda Magnenat intitulé « Max Jacob et le cinématographe » dans le cadre d’un dossier sur les rapports entre le poète et la culture populaire. Malgré leurs différences, on voit bien combien Aragon et lui sont liés à l’apparition d’un art nouveau, apparition dont ils sont les contemporains exacts. Jacob est le premier à utiliser le mot « cinéma » dans la poésie française, en 1914 : « Et les coudriers sans lilas/Seront l’appui des chèvrefeuilles/Ce soir je vais au Cinéma ». Peut-être certaines occurrences du mot sont-elles même antérieures dans son œuvre : « …vous condenserez le rythme du Cinéma et celui de la grêle et aussi le rire de ceux qui assistent à la mort de la vieille courtisane pour avoir l’idée du Purgatoire. » L’article très précis de N. Magnenat ne porte que sur les années dix et fait espérer de nouveaux approfondissements de sa recherche.
René Marx
Aragon et le Cinéma, de Luc Vigier
Brunius et le Cinéma, d’Alain Keit
Éditions Jean-Michel Place